Il était un peu plus de six heures du matin, ce moment trouble entre la fin de la nuit et le début d’un jour sans promesse. Le bitume encore tiède de la veille gardait les secrets d’une chaleur passée, et les voitures passaient déjà, rapides et inconscientes, sur l’autoroute A11.
Personne ne regardait vraiment. Personne ne voyait la fille.
Elle marchait pieds nus sur la bretelle d’autoroute, là où personne ne devrait marcher, encore moins sans chaussures. Elle avait environ dix-sept ans, peut-être moins, peut-être plus — de ces âges flous qui échappent aux chiffres. Sa robe était fine, froissée, d’une couleur qu’on aurait du mal à nommer à cause de la poussière qui la recouvrait. Chaque pas semblait à la fois hésitant et décidé, comme si elle fuyait et cherchait en même temps.
Les cailloux pointus incrustés dans l’asphalte mordaient la peau tendre de ses pieds, mais elle ne ralentissait pas. Elle portait à la main une chaussure, une seule, une basket blanche couverte de boue séchée. L’autre, peut-être perdue dans une course ou oubliée dans une dispute, manquait à l’appel comme une partie d’elle-même.
Un camion klaxonna. Elle ne sursauta même pas. Elle n’était pas là pour être vue. Elle était là pour continuer.
Le talus à sa gauche tombait vers un champ jaune de colza, le genre de champ qui sent fort en avril et fait pleurer les yeux. À droite, les voitures fusaient, indifférentes, le monde lancé à pleine vitesse sans elle.
Elle pensait à des choses simples. À sa sœur qui dormait encore, à son portable resté éteint sous un oreiller. À sa mère qui ne l’avait pas entendue partir. À la clé laissée dans le pot de fleurs sur le balcon, comme toujours. Elle n’avait pris ni sac, ni eau. Juste cette chaussure-là.
Elle ne savait pas encore où elle allait. Peut-être vers l’aire d’autoroute. Peut-être plus loin. Elle cherchait un endroit où le bruit ne couvrait pas le silence. Où elle pourrait respirer autrement. Être autrement.
Quand un homme s’arrêta plus loin, clignotant à droite, portière qui s’ouvre, elle ne regarda même pas. Elle tourna dans le fossé, s’éloigna dans l’herbe humide. Disparut.
Et les voitures continuèrent, ignorant qu’elles avaient croisé quelqu’un qui marchait pour ne pas s’arrêter.
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