Le bunker

Publié le 15 avril 2025 à 12:00

Le vent d’automne hurlait sur les falaises, fouettant les longues mèches brunes de Camille tandis qu’elle s’enfonçait dans les herbes hautes. Elle n’avait plus rien à perdre. Le monde au-dessus avait cessé de lui parler depuis longtemps. Le silence pesant des jours sans voix, des nuits sans rêves, l’avait lentement poussée vers cet endroit oublié, au bord de la mer — là où les bombes ne tombaient plus, mais où leur ombre restait.

 

C'était un vieux bunker allemand, échoué comme une baleine morte sur la plage normande. Le béton, fendu et mangé par le sel, semblait respirer une odeur de rouille et d’humidité ancienne. Camille savait que personne n’y allait. Trop dangereux, trop vide. Mais pour elle, c'était parfait.

 

Elle s’y glissa sans bruit, une lampe à la main. Les escaliers, humides, menaient vers les entrailles de la structure. Les murs suintaient. Des mots en allemand, à demi effacés, couraient sur la pierre comme les restes d’un cauchemar. Elle descendit, un pas après l'autre, les épaules serrées, mais le cœur étonnamment calme.

 

Il y avait là quelque chose de familier. Une promesse d’abandon. Une paix obscure.

 

Le dernier niveau du bunker s’ouvrait sur une salle ronde, un ancien poste de commandement, ou peut-être un dépôt d’âmes mortes. Sur les murs, des symboles avaient été gravés après la guerre, maladroits, comme une tentative de conjurer quelque chose. Camille s’assit au centre, la lampe posée devant elle, et écouta.

 

Au début, rien. Puis, un souffle. Lent. Profond. Comme si le bunker lui-même respirait. Une forme de vie primitive. Elle n’eut pas peur. Elle ne recula pas.

 

Une voix, rauque comme la pierre, chuchota son nom. Pas dans sa tête. Tout autour d’elle. Camille… Camille…

 

Elle sourit faiblement. Enfin, quelqu’un lui parlait.

 

La voix lui murmura des choses qu’elle n’aurait pas dû comprendre, mais qu’elle reconnaissait. Des souvenirs d’une guerre qu’elle n’avait pas vécue. Des pleurs d’enfants sous les décombres. Des rires qui s’éteignaient dans les sous-sols. La mémoire du béton. Elle devint une partie du lieu. Le sang de ses pensées se mêla au béton froid.

 

On dit que depuis ce jour, le bunker n’est plus aussi vide.

 

Certains promeneurs, les soirs de tempête, entendent des murmures derrière les murs. Une voix de fille. Douce. Inquiète. Parfois, elle pleure. Parfois, elle rit.

 

Mais elle ne sort jamais.

 

Elle est devenue la dernière guerre de ce lieu. Un secret en chair et en échos.

 

Camille n’errera plus. Le bunker l’a accueillie. Et ne la rendra jamais.

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.